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JEUNES FEMMES EN UNIFORME et JEUNE HOMME SANS UNIFORME

Publié le 30 Mai 2013 par Céline Lefrou de la Colonge in LES LIVRES DU PRINTEMPS

En les lisant à quelques mois d’intervalle, Jeunes femmes en uniforme de Tereska Torrès et Alias Caracalla de Daniel Cordier m’ont semblé être les deux faces d’une même pièce qui se complètent.

En effet, l’époque où se déroulent entièrement ou en partie ces aventures autobiographiques est la même – 1940 – ainsi que le lieu emblématique où elles convergent – Londres. Les héros vont y arriver, vont y vivre, vont y rester ou en partir et ce lieu va représenter leur bouleversement intérieur, le chaos dans lequel l’annonce de la reddition du Maréchal Pétain les a plongés. Car ils passent tous d’une guerre qui s’arrête, d’une « paix retrouvée » grâce à l’occupation allemande, aux bombes nazies qui leur tombent à présent sur la tête, tombent autour d’eux sur les toits et dans les rues de Londres. Arrivés dans cette ville inconnue, ils ne peuvent que constater les dégâts d’une guerre bien réelle, visible tous les matins au milieu de nouveaux décombres encore fumants de la nuit et de nouvelles victimes gisant dessous. Les sens exacerbés au maximum, suscités à leur paroxysme – les bruits des bombardiers allemands, ceux de la DCA, l’odeur des feux et du brûlé, la vision des destructions, la peur, le froid, etc.… – plongent les héros dans le même état de choc et de révolte. Cette guerre n’est plus un spectre comme celui qui plane sur une France rendue à l'ennemi, ce n'est plus une idée passée, un concept révolu manié avec dextérité par des politiciens au mieux lâches, au pire nazis. Cette proximité des vécus chez nos héros, même si leur point de vue différent – celui de jeunes femmes en bande et celui d’un jeune homme seul – éclairent de manière inattendue et avec une force évocatrice hors du commun, l'existence au cœur de ces champs de ruines morales et de ces champs de ruines véritables, devenues alors pour eux comme pour nous bien réelles, dans cette ville en sang, d'où paradoxalement partent tous leurs espoirs.

Alors que des très jeunes femmes venues des quatre coins de la France, accourent à Londres en 1940, passant les mers et les montagnes, quelques fois à pied, quelques fois en barque ou par tous moyens que le hasard met à leur disposition, avec leur seul courage pour bagage, bravant la peur de l’inconnu et ses dangers, de très jeunes hommes aussi, dans la même impulsion de liberté, font de même. Si Jeunes femmes en uniforme raconte la rencontre de ces femmes, leur amitié, leur amour, raconte la puissance érotique quasi libidinale de ces corps féminins enrôlés dans ce que les FFL appelle sans ironie « le corps féminin », le récit autobiographique de Daniel Cordier dans Alias Caracalla, lui, nous fait plonger dans la solitude d’un jeune homme sans uniforme, une solitude physique, charnelle qui rend son combat encore plus triste, où sa vie n’est plus qu’un don à son idéal.

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Tereska Torrès, Alain Cordier, même combat.
Tereska Torrès, Alain Cordier, même combat.

Tereska Torrès, Alain Cordier, même combat.

Les points communs entre ses deux récits restent cependant nombreux. Ce sont tous les deux des récits d’initiation à la vie en même temps qu’ils sont des initiations à la guerre, donc à la mort. La guerre fonctionne alors comme un accélérateur de particules, pendant laquelle tout est vécu plus vite, plus fort, plus gravement. La guerre fait office de mise en abîme de la vie puisque dans la vie, on ne sait jamais ce que sera demain et qu'en pleine guerre, on ne sait jamais si on sera vivant la minute prochaine. De part la présence imminente de la mort, sa présence continuelle et absolue, la guerre ne laisse pas le temps de rêver, de penser à autre chose, de se reposer, et lorsque que les jeunes femmes du « dortoir des vierges » dans un éclair de révolte, retaillent leur « bloomers » (culottes) pour en faire des slips attrayants en vu d’une autre vie, dans des bras d’hommes, rêvant d’une autre destinée plus heureuse, dans un monde en paix, elles se font punir et doivent réenfiler de nouveaux bloomers sur leurs sexes de vierge en colère, renvoyés à leur condition militaire asexuée, privées de plaisirs. La révolte d’Alain, alias Daniel Cordier, se transforme elle au jour le jour, à l’écoute d’hommes exceptionnels qui lui ouvrent les yeux et l’esprit (Raymond Aaron, Stéphan Hessel, Jean Moulin, Raymond Aubrac…), le poussent dans un engagement plus radical, un travail effréné où pour lui chaque heure, chaque minute, comptent et est une minute gagnée sur l’adversaire. Et que ce soit dans la course d’Alain contre le temps ou celles des jeunes femmes contre l'époque qui les broie et les réduit à des matricules, dans les deux récits, chaque événement est vécu comme le dernier et aucun événement ne semble rattaché à un autre : on est projeté dans l’absurdité de la vie, incontrôlable, qui donne une narration absurde, décousue, haletante.

On sent chez tous ces jeunes, la fatigue, l’épuisement physique et moral, la tension continuelle rythmée par le bruit des déflagrations et la fumée prégnante des décombres, le souffle coupé, les yeux continuellement ouverts, les sens à l’affût par la possibilité d’être arrêté à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, par une bombe ou la Gestapo. Et la solitude pour tout le monde, seules loin de leurs parents et de leur pays, seul dans la clandestinité pour prétendre à survivre.

On apprend au détour des pages –et c’est une surprise car il s’agit d’une révélation commune– que le pensionnat de filles d’un côté (la caserne fonctionnant comme un pensionnat) et le véritable pensionnat dont sort Daniel Cordier sont des fabriques à l’apprentissage homosexuel. Puisque les filles se retrouvent enfermées entre elles et les garçons entre eux, la réalisation de pulsions libidinales amoureuses et/ou sexuelles ne peut que trouver une forme homosexuelle plus ou moins avouée, plus ou moins réalisée. On se prend à comprendre alors l’importance quasi normative de ce type de relations massivement pratiquées dans une France séparant institutionnellement les sexes depuis le plus jeune âge, renforcée ici par la guerre et la séparation qui perdure de fait entre les deux sexes (armée, éloignement, décès…).

Mais si dans Jeunes femmes en uniforme, les relations sexuelles sont souvent un tremplin à des relations hétérosexuelles possibles grâce aux permissions et à l’ouverture sur un autre monde, dans Alias Caracalla, le jeune résistant, enfermé dans sa condition de résistant, coupé du monde qu’il traverse le plus rapidement possible, à courir au milieu de ses compagnons de combat qui tombent à côté de lui les uns après les autres, ne peut pas vivre le rapprochement physique, l’abandon à l’autre dans la peur de ne pouvoir se relever. C’est l’amour filial qui le fait tenir et l'admiration pour un père spirituel qu’il a trouvé en la personne de Jean Moulin, son patron de réseau.

Dans les deux livres exemplaires de sincérité, de force, d’engagement, le lecteur interloqué vit au jour le jour, minute après minute, ces destins incroyables qui s’écrivent mots après mots de la plume de ceux qui les ont vécus. Deux grands livres, deux grands témoignages sur l’Histoire pour les générations à venir grâce à deux grands auteurs qui rendent hommage à leurs amis, leurs amours et à leurs morts.

Et en lisant, l'un puis l'autre, j'ai imaginé Tereska Torrès, recrutée en tant que radio dans les bureaux du BCRA, envoyant à Daniel Cordier parachuté en France, des messages codés qu'il peine à décoder à cause des nombreuses fautes de codage et contre lesquelles il peste. Ce que Daniel Cordier ignore, c'est l'ambiance qui règne dans ces bureaux, chauds d'intrigues amoureuses, qui font perdre la tête à tous les militaires en présence. Mais peut-on leur en vouloir !... Même si Alain, à bout de souffle, souffre seul et sidéré à l'autre bout de la ligne...

Tous plongés dans l'ironie de la guerre et celle de leurs vies.

CLdelaC

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